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L'histoire de Taxi Girl commence en 1977, date de la rencontre de Laurent Biehler, Mirwais Ahmazai (un jeune réfugié politique afghan), Pierre Wolfsohn, Stéphane Erard et Daniel Rozoum au lycée Honoré de Balzac, porte de Clichy, à Paris. 1977 est l'année punk par excellence : le groupe d'étudiants se constitue en gang de rock'n'roll et écume les cafés et salles de concerts parisiens, non sans rixes au passage. Jean Genet, William Burroughs et The Doors constituent la bande originale des virées adolescentes du quintette. La suite logique est de monter un groupe. Un roman porno de gare attire l'oeil des garçons. Son titre: Taxi Girl.
Fin 1978 ont lieu les premières dates au Gibus et au Rose-Bonbon et la rencontre avec Alexis Quinlin, une figure remuante de la scène rock française, un temps manager d'Asphalt Jungle et de Métal Urbain. Il est à ce moment-là programmateur au Rose-Bonbon et devient le manager de Taxi Girl, pour le fun et l'esthétique, Laurent Biehler se rebaptise Laurent Sinclair (claviers), Mirwais Ahmazai devient Fred Stass (guitare), Stéphane Érard (basse) abrège son patronyme en un E. mystérieux et le chanteur opte pour l'ombre, Rozoum se transformant en Darc (« aucun rapport avec l'actrice », précisera-t-il à l'époque, pince-sans-rire). Pierre Wolfsohn reste Pierre Wolfsohn (batterie). Le groupe joue des reprises de rock sans concession. Au menu, The Stooges, The Velvet Underground, Chuck Berry, The Sonics. Les garçons prennent leurs quartiers au Rose-Bonbon, qui devient leur local de répétition. En contrepartie, ils y donneront une trentaine de concerts.
En 1979, l'after-punk devient new wave et les garçons sauvages redécouvrent la sophistication et les arrangements, Kraftwerk prouvant que l'on peut être intègre et politisé avec un clavier au bout des doigts. Le répertoire du groupe s'enrichit de compositions originales (« N'importe quel soir », « Chercher le garçon », « Triste cocktail » et « Mannequin », hommage direct à « The Model » de Kraftwerk, sorti l'année précédente). Le style de Taxi Girl s'affirme en un subtil mélange d'intellectualisme électronique et d'immédiateté rock. Les claviers de Laurent Sinclair épatent tout le monde. Une première maquette est enregistrée et arrive aux oreilles de Maxime Schmitt, directeur artistique de Sonopresse et proche collaborateur de Kraftwerk.
La musique du groupe le séduit d'emblée, mais il demande aux garçons de continuer à travailler et de revenir le voir dans un an. Les premières parties prestigieuses commencent à s'enchaîner : Pere Ubu au Bataclan, Siouxsie & the Banshees au Palace. L'époque est à la provocation et au geste esthétique et c'est Daniel Darc, le 11 décembre, qui sera le plus fort à ce petit jeu. Alors que Taxi Girl ouvre pour Talking Heads au Palace devant un public apathique, il prend un cutter, se taillade l'avant-bras et saute dans la fosse, histoire d'arroser copieusement les premiers rangs de son sang. Premier flirt avec le théâtre de la cruauté. Mirwais Ahmazai et Laurent Sinclair diront plus tard que c'était une des choses les plus belles qu'ils aient jamais vues.
Par l'entremise de Maxime Schmitt, Taxi Girl signe un contrat d'un an avec Sonopresse, une filiale de Capitol France. Un premier maxi sort rapidement en février. « Mannequin », avec son rythme primesautier et sa mélodie en accroche-coeur, séduit la presse spécialisée mais aussi les grandes ondes (RTL et Europe 1 en tête). Dans la foulée, Alexis Quinlin, qui se rêve en Malcom MacLaren français, embarque le groupe dans une opération promotionnelle d'un nouveau genre. Ainsi, le groupe rallie Paris à Chamonix à pieds en dix-sept jours au cours de l'été. Le magazine Best titre « Taxi Girl donne dans l'exploit sportif ». Toujours mieux que de se retrouver dans la rubrique « faits divers » des quotidiens, comme à l'occasion de ce concert à Beauvais qui vire à l'empoignade générale. Car si, sur disque, Taxi Girl se voit reprocher par les punks un son et une attitude clean, la scène reste pour les garçons un pur moment de rock'n'roll (fractures diverses, nez cassés et fin de nuit au poste en sus). Dans l'année, Pathé Marconi rachète Sonopresse. Mauvaise pioche pour le groupe puisque fort d'avoir déjà à son catalogue, au rayon « rock français », Téléphone et Starshooter, la compagnie ne fait aucun effort promotionnel pour soutenir Taxi Girl, et c'est le groupe lui-même qui paie la campagne publicitaire accompagnant la sortie de « Mannequin », appliquant ainsi à la lettre le credo punk « Do It Yourself ».
Sorti en décembre 1980, le simple « Chercher le garçon » explose les charts au cours de l'hiver, transformant magnifiquement l'essai « Mannequin ». Un tube aussi improbable qu'évident, avec un texte racé et vénéneux sur une mélodie élégante et addictive. Taxi Girl en vendra 300 000 exemplaires. Le groupe, filmé en concert au Théâtre Le Palace (la boîte à concerts parisienne en vogue où Alexis Quinlin travaille dorénavant), passe dans l'émission Chorus, l'ancêtre des Enfants du rock où sévissent Antoine de Caunes et Jacky Jakubowicz. Une première véritable tournée en province est organisée avec succès (la majorité des premières parties de la tournée est assurée par le tout jeune groupe Indochine) et les colonnes de la presse adolescente s'ouvrent aux garçons, qui jouent le jeu (poster du groupe dans Salut !). Parallèlement, Mirwais Ahamdzai et Alexis Quinlin, accompagnés de Modern Guy sous le pseudo de Chany, produisent une reprise électro-chic du « Unsquare Dance » de Dave Brubeck. Le titre devient un mini-tube pour initiés (et accessoirement l'indicatif de l'émission d'Europe 1, Programme secret). Le gang, devenu la poule aux oeufs d'or, se retrouve en position de force alors même que se profile la fin du contrat les liant à Pathé Marconi. Alexis Quinlin, faisant miroiter une possible re-signature avec le label, réussit à faire payer à la compagnie une campagne d'affichage dans le métro parisien. Et décide, au dernier moment, de signer avec une structure encore jeune, Virgin. Stéphane E. décide de redevenir Stéphane Erard et quitte le groupe. Kraftwerk est pressenti à la production du premier album de Taxi Girl.
Exit donc Pathé Marconi, bonjour Virgin, jeune filière de l'empire excentrique du Britannique Richard Branson. Mais si Taxi Girl se laisse séduire, c'est parce que le label accepte toutes ses conditions. Avec l'avance concédée par Virgin, Taxi Girl, décidé à rester maître de sa destinée, crée son propre label, Mankin, montrant ainsi la voie à la scène alternative de la fin des années 1980 (New Rose, label et distributeur historique, sera d'ailleurs le premier à rééditer Taxi Girl à la toute fin de la décennie - hommage tardif de la scène punk-rock française qui eut du mal à pardonner aux garçons son succès-éclair). Les Civils et Oberkampf (entre autres) bénéficieront ainsi de la liberté acquise par le groupe (et de la force de frappe commerciale du distributeur Virgin). Mais en juillet 1981, c'est le drame. Pierre Wolfsohn décède dans des circonstances troubles. On parle de crise cardiaque à la suite d'une overdose. C'est un coup dur pour le groupe. La musique du trio s'assombrit et les textes de Daniel Darc gagnent en intensité et en noirceur. L'enregistrement du premier album (avec, à la production, le bassiste des Stranglers, Jean-Jacques Burnel) se déroule entre Paris et Londres dans une atmosphère lourde. C'est Jet Black, le batteur des Stranglers, qui tient les baguettes. La fin de l'année les voit battre la campagne anglaise en support des Stranglers. Cadeau empoisonné s'il en est, peu de groupes français ayant réussi à s'imposer outre-Manche. Mais l'accueil du public anglais est chaleureux. « Chercher le garçon » y obtient un joli succès d'estime.
Le premier album de Taxi Girl sort en France en janvier 1982. Intitulé Seppuku , il divise le public et les chroniqueurs. L'ambiance mortifère qui s'en dégage est majoritairement pointée du doigt. On est loin de la légèreté (apparente) des deux premiers singles. Seppuku ne rencontre pas son public. Il faut dire que jusqu'à présent, le groupe avait su jouer de ses paradoxes. Cinq garçons issus de la vague punk (surtout Daniel Darc, le plus « borderline ») qui décrochent vite la timbale grâce à leur goût pour la mélodie collante ; quatre garçons cornaqués par un management retors et ultra-malin qui essaie de leur coller une image saine qu'ils n'ont pas (cf. le look « clean » du groupe pour le poster de Salut !) ; trois garçons qui accèdent à la liberté artistique et à l'indépendance économique la plus totale. Et trois garçons, ivres et blessés, qui commettent le disque qu'il ne fallait pas. Un disque droit et fier, à l'honnêteté confondante (comment leur reprocher de porter le deuil ?). Un disque qui hurle, en sourdine. La pochette, signée Jean-Baptiste Mondino, un fan de la première heure, est scellée des quatres côtés. Elle montre une jeune japonaise s'apprêtant à pratiquer le rituel sacré du « Seppuku » (le terme exact de ce que l'on nomme communément « hara-Kiri »).
Minés par le relatif insuccès de Seppuku (surtout en regard des ventes de « Chercher le garçon »), les garçons font grise mine. Des tensions apparaissent entre Laurent Biehler et Mirwais Ahmadzai, les deux compositeurs du groupe. Le premier quitte le groupe en avril et Alexis Quinlin s'enfonce de plus en plus dans les coursives noires du Palace. On ne donne pas cher de la peau de Taxi Girl. Daniel Darc et Mirwais Ahmadzai créent pourtant la surprise en mai 1983 avec la sortie du mini-album Quelqu'un Comme Toi. Le morceau-titre étonne, le duo s'éloignant du son synthétique qui fit sa gloire. Mais la touche Taxi Girl, précise et cruelle, est bien présente (« De l'autre côté », « Plus je sais, plus j'oublie »). « Quelqu'un comme Toi » viendra frissonner aux portes du Top 50. Ce qui n'empêche pas Mankin de quitter la vitrine. Le label s'éteint, mais conserve ses activités d'édition.
En 1984, Les Enfants du rock consacre une émission spéciale à Taxi Girl au mois d'avril. Le nouveau maxi, « Dites le fort », sort en juin, sur Virgin. Inspiré du « Say It Loud » de James Brown, le morceau de funk blanc et exsangue ne séduit pas même les fans du groupe qui, décontenancés, n'écoutent pas la face B. Grossière erreur puisque « Les Jours sont bien trop longs », gainsbourgien en diable, est sublime. En novembre voit la sortie d'un nouveau maxi. Mais « Paris », dans la veine de « Dites le fort », laisse indifférent, et ce malgré son texte provocateur (« Hé, mec ! tu sais comment j'épelle Paris ? M.E.R.D.E. »). La descente aux enfers pour Daniel Darc et Mirwais Ahmadzai continue.
L'année suivante, Taxi Girl participe à l'album hommage à The Velvet Underground, Les Enfants du Velvet, aux côtés de Rita Mitsouko et d'Etienne Daho. Le duo y adapte en français « Stephanie Says », qui devient « Je rêve encore de toi ». En 1986, Virgin lâche le duo. Les deux garçons trouvent refuge sur un tout jeune label indépendant, Koka Records. Et c'est au printemps que sort l'ultime single de Taxi Girl, « Plus belle qu'une balle ». Un adieu fier et élégant, sûrement un des plus beaux morceaux du groupe qui retrouve, à la veille de sa mort, toute l'innocence de sa jeunesse : choeurs bubblegum et immédiateté mélodique en tête. Le morceau tourne un peu en radio, mais sans plus. Fatigués du show, fatigués du business, Daniel Darc et Mirwais Ahmadzai se séparent.
EAprès avoir produit au début des années 1990 Juliette et les Indépendants, Mirwais est devenu une star des musiques électroniques (et producteur de Madonna). Daniel Darc, après dix ans d'absence (Nijinsky, son deuxième album solo, est sorti en 1994), revient sur la pointe des pieds en 2004 avec un Crève-Coeur fragile et excitant sous le bras. Deux albums plus tard, il s'éteint en février 2013. Exilé en 1987 à New York suite à la chute du Palace et reconverti dans la distribution cinématographique, le manager fut un temps en prison pour escroquerie. Laurent Sinclair, après un single en 1987, a disparu de la circulation.