5718 fans
Si son humour est léger comme une plume, Latraverse n'en est pas moins né sous le patronyme plus conventionnel de Michel Latraverse, en 1946. Etudiant contestataire durant ses années d'université, il préfère, comme de nombreux jeunes gens des sixties, la guitare au stylo-plume. Nourri à la contestation gauchisante estudiantine, Latraverse traîne sa carcasse d'assemblée générale en sit-in et fait la connaissance de deux jeunes gens bohèmes comme lui : le saxophoniste Pierre Landry et le poète Pierre « Pierrot » Léger. Avec eux, il forme un premier groupe et fait ses premières armes musicales, tant sur les campus que les petites salles de concert.Mais, en 1971, c'est sous son seul nom de « Plume » Latraverse qu'il signe son premier album, Triniterre placé sous le signe d'un folk-rock à la Bob Dylan.Le gauchiste primesautierÉvoluant dans le milieu underground de la Belle Province, Latraverse commence à se faire un nom comme auteur-compositeur, souvent associé à son ami Pierrot Léger. Avec ses textes humoristiques mais conscientisés, gentiment contestataires, Latraverse devient l'un des piliers de la contre-culture gauchiste du Québéc. Plume pou digne, en 1974 fait la part belle à des morceaux sympathiquement protestataires comme « Métropole B.B.Q », « Léopold Gibouleau » ou « Le gros flash mauve ». On y retrouve certains des thèmes chers à la jeunesse de l'époque : refus du monde matérialiste et retour à la terre, le ton doublé d'un léger ton populo, limite poujadiste de gauche. Déjà à l'époque, Latraverse n'hésite pas à aller puiser son inspiration du côté de l'Amérique du Sud, de la bossa nova et de la samba, donnant à son répertoire un petit côté « hasta la victoria siempre, commandante Che Guevara », mais toujours avec une dose d'humour non négligeable. La même année, son premier album ressort sous le titre La Sainte-Trinité. Logique de l'absurdeEn 1975, Le vieux show son sale et Pommes de route jouent dans le registre de l'humour absurde et non-sensique, faisant de Plume Latraverse le chansonnier francophone à l'humour le plus british du moment. Si Landry est présent lors de l'enregistrement du disque, ce sont surtout les guitares de Steve Faulkner qui inscrivent ces deux albums dans le courant rock. A deux faces, l'année suivante confirme le talent du jeune hippie chevelu et barbu pour jouer avec les mots et, même si son humour reste très québéco-centré (« La p tite vingnenne pis l'gros torrieu », « Saigne tes brakes », « Blou (la toune liquide »), il commence à se faire un nom dans le reste de la sphère francophone mondiale, même si c'est dans une mesure bien moindre que celle d'autres auteurs venus de la Belle Province comme Robert Charlebois ou Gilles Vigneault dont le répertoire est plus grand public.Le radical de MontréalLes années suivantes voient l'artiste évoluer dans le registre de la franche fantaisie et les albums référentiels se multiplient, de Chirurgie plastique à L'aventure de Waï-Waï, le castor canadien. S'il sait se montrer polisson ou au contraire « grand public », Latraverse reste un personnage majeur de la contre-culture québécoise. Ses concerts deviennent d'ailleurs presque des spectacles comiques à part entière et le chanteur s'associe quelques temps à quelques pros de l'humour canadien comme Georges Langford, Willie Lamothe, Pierre Lalonde, Michel Louvain ou Donald Lautrec pour monter des happenings culturels à forte connotation radicale et décalée, créant presque un esprit similaire à celui de l'équipe d'Hara Kiri en France, fait de provocations, d'anticléricalisme, de rejet des institutions et d'amour de la langue française. Avec le temps, Plume accède à une vraie notoriété de trublion quasi officiel du Québec. S'il se produit occasionnellement en France, c'est surtout dans son propre pays qu'il devient une vedette grâce au film autobiographique Ô rage électrique, de Carl Brubacher.Le Plume plus fort que l'épéeEn 1987, la plume de Plume est trempée dans le miel davantage que dans le fiel pour son premier roman, Contes gouttes ou le pays d'un reflet, un recueil de nouvelles douces-amères, toujours provoc mais aussi tendres. Devenu une véritable institution dans son pays, une sorte de Professeur Choron sauce poutine, Latraverse sort la même année un double album, D'un début... à l'autre, en deux parties, alternant entre le rock, le folk et la chanson fantaisiste, enregistré en compagnie des Waboboys.
En 1989, les premières compilations consacrées à l'artiste, Le Lour passé de Plume Latraverse se retrouvent dans les bacs. Ironie du sort, le pape de la contre-culture québécoise est lui-même devenu une institution incontournable dans son propre pays et l'un des ambassadeurs de la culture québécoise dans le monde. Pour sa part, l'artiste s'en accommode fort bien, tout en ironisant à l'occasion sur ce paradoxe qui le fait passer du statut de rebelle anticonformiste à celui de mondain décalé. Le dernier des MohicansAvec le temps, Latraverse prend son temps et le stakhanoviste des débuts qui sortait trois albums par an au début des années 80 se transforme en bon père tranquille dont le rythme de croisière est émaillé par quelques fulgurances artistiques. Chansons pour toutes sortes de monde, en 1990, voit son grand retour sur scène suivi quatre ans plus tard par Chansons nouvelles, puis par Mixed Grill en 1998. L'artiste prend le temps de la réflexion et propose à un public toujours présent ce qu'il sait faire de mieux : des textes amusants, parfois philosophiques, gentiment rebelles (avec le temps, l'artiste s'est assagi), parfois paillards, mais toujours incisifs.
En 1998 parait d'ailleurs la première biographie consacrée à l'artiste, Plume Latraverse et le cliché ironique : les pauvres suivie cinq ans plus tard par un travail universitaire : Plume Latraverse masqué/démasqué. Pas fatigué pour un sou, le vieux baba toujours aussi cool sort, en 2007 et 2008 deux albums consécutifs : Hors Saisons et Plumonymes. La plume de ce vieux Mohican de l'écriture n'est décidément pas flétrie.