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Pour présenter les Têtes Raides, il faut évoquer son chanteur-leader, à l'origine du groupe, Christian Olivier. Né en 1964 au Mali, c'est en 1984, alors qu'il est élève à l'école Estienne à Paris, référence en matière d'arts graphiques, qu'il fonde une formation musicale ainsi qu'un collectif artistique.
Appelé Red Ted, le premier groupe est un quatuor formé avec son frère Pascal Olivier, dit Cali, à la basse, Grégoire Simon, dit Iso, au saxophone et Marc Legratiet, dit Ciccio ou Titcho, à la batterie. Le collectif, lui, est créé avec trois amis de l'école supérieure d'arts : Benoît Morel (qui deviendra le chanteur du groupe La Tordue), Lionel le Néouanic, et Youri Molotov. Ils prennent le nom de Chats Pelés et signeront désormais pochettes de disques, affiches et animations d'un coup de crayon si reconnaissable, que leurs personnages et leur esthétique simpliste, volontairement enfantine, va devenir la marque de fabrique des Têtes Raides.
De Red Ted à Têtes RaidesAprès des concerts donnés dans la région de Port-Leucate où les quatre Red Ted se rendent en vacances, ils se rebaptisent Têtes Raides en 1987. Christian Olivier délaisse quelques temps la guitare et les reprises rock pour se consacrer à l'accordéon et à l'écriture de ses propres chansons. Un 45-tours sort en 1988 et porte un titre déjà teinté d'esbroufe « C'est quoi ? ».
Alors qu'ils commencent à se produire dans la capitale, leur énergie brute, leur univers façonné par les illustrations des Chats Pelés tape dans l'oeil de Francis Kertékian qui vient de fonder le label indépendant Just'in.
Le 33 tours Not Dead But Bien Raide sort en 1989. Autoproduit et distribué par Just'in, il donne le ton : dans un méli-mélo de punk rock sous influence The Clash, de chants éraillés et de fêtes qui déchantent, le groupe signe sa déclaration d'existence. Surtout, le disque contient « Ginette », titre hypnotique qui deviendra emblématique du groupe, il dresse le portrait doux-amer d'une ribaude d'un autre siècle, qui semble valser sans fin dans un bar malfamé ou tous rêvent d'un ailleurs.
Le label Just'in fait faillite alors que le groupe s'apprête à sortir un nouvel album, mais français Kertebian restera au côtés du groupe. En 1991, les dix sept titres de Mange Tes Morts sortent finalement chez Fnac Music. Un livre accompagne l'album. Il contient les travaux des Chat Pelés illustrant ces chansons aux rythmes effrénés où les cris sauvages remplacent parfois le chant.
Mais les Têtes Raides sont aussi capables d'attendrir avec « Cosette » ou « Café », simple composition au saxophone sublimée en concert par la lecture de Déjeuner du matin de Jacques Prévert. L'album Les Oiseaux sort en 1992. L'arrivée du violoncelle et de la formation classique d'Anne-Gaëlle Bisquay entraîne le groupe dans une direction plus acoustique, délaissant la fureur brouillonne des débuts.Têtes consacréesEnfin, Fleurs de Yeux paru en 1993 recueille les louanges de la critique (disque de l'année pour Télérama et Le Monde) et du public. Les Têtes Raides imposent désormais leur style, leur patte unique dans la chanson française. Au confluent des genres, un documentaire sur le groupe est projeté pendant leurs concerts et un texte du poète Fernando Pessoa The Mad fiddler est mis en musique. Le son, plus calme et serein n'est pas pour rien dans cette reconnaissance : il rend tout simplement les textes, cette poésie d'écorchés vifs, plus accessible. Les Têtes Raides peuvent désormais remplir le Casino de Paris ou Trévise.
En 1996, pour l'album Le Bout du Toit, les sept multi-instrumentistes (Christian Olivier et son frère Pascal, Jean-Luc Millot, Serge Bégout, Pierre Gauthé, Mike Carley et Anne-Gaëlle Bisquay) font appel à Jean Corti, ancien accordéoniste de Jacques Brel. Ils interprèteront également avec lui une reprise de « Les Vieux » sur la scène de l'Olympia. Mais la voix désormais plus maîtrisée et reconnaissable de Christian Olivier rend hommage à d'autres virtuoses de la langue, Georges Brassens (avec la chanson « Saint-Vincent ») et Robert Desnos (« L'amour tombe des nues »). Après s'être lié d'amitié avec Vincent Frèrebeau, Têtes Raides signent avec son label tôt Ou tard, qui réédite leurs précédents albums et c'est sous son égide que sort en 1997 Viens !, album live enregistré entre le 3 et le 7 décembre 1996 au Trianon à Paris.Engagement politiqueL'écriture acerbe et le genre musical identifiable du groupe ont trouvé un public fidèle, pourtant les Têtes Raides évitent les étiquettes comme la peste. Ils gagnent encore en richesse sonore avec l'arrivée d'Edith Bégout sur l'album Chamboultou en 1998. Remplaçant Scott Taylor, elle joue du piano, du trombone, du tuba et surtout de l'orgue. Le violon et le banjo apparaissent également et illuminent le lyrisme des rues et des faubourgs d'un groupe, qui à sa façon, continue de mener son combat humaniste. La dédicace « Ne laissons pas les chacals brouter nos idéals (sic) » est inscrite sur le livret en guise de conclusion aux treize titres. L'album sera disque d'or.
En 2000, l'heure de la première rétrospective a sonné : dix sept chansons sont regroupées dans une première compilation intitulé Ginette, 10 Ans de Têtes Raides.
La même année voit la sortie de Gratte Poil. Rien d'étonnant à ce que Christian Olivier ait trouvé en Bertrand Cantat de Noir Désir, un frère d'armes puisque leur plume et leur voix se mélangent ici pour le titre « L'identité » qui assène, toutes guitares dehors, une critique sévère de la politique menée par la France envers les sans-papiers. Jean Corti et Yann Tiersen font également parti du projet : le premier violoniste joue dans « Le Gratte-poil » et le second dans « Cabaret des nues ».
Si l'énergie d'un son live imprègne ce nouvel album, ce n'est pas non plus un hasard. A la période où ils enregistrent, le groupe présente sur scène le spectacle NON, dans lequel animations des Chat Pelés, lectures de poésie d'Arthur Rimbaud et d'Albert Camus, offrent un hymne à la prise de conscience politique et la contestation d'un modèle de pensée unique.
En 2002, après le premier tour des élections présidentielles, le groupe forme aux cotés de Noir Désir, Yann Tiersen, Dominique A, une mini-tournée rageuse dans quelques grandes villes de France après le choc des résultats.
En 2003, ils investissent le théâtre parisien des Bouffes du Nord pour un spectacle de musique, théâtre, projections et lectures aux cotés de nombreux artistes invités. Le DVD de ces concerts, réalisé par Pierre Cognon, complice du groupe depuis ses débuts, sort en avril, puis, en septembre, c'est au tour de Qu'est-ce Qu'on Se Fait Chier, de trouver sa place dans les bacs. La chanson éponyme invite dans une parodie de danse tribale indienne à regarder plus loin que son nombril quand la chanson « Soupault » ressemble à une cascade surréaliste de vers tirés de l'oeuvre du poète.
Un autre live intitulé sobrement 28.05.04, enregistré à Rezé près de Nantes à cette date, sort l'année suivante et comporte une reprise taillée sur mesure de l' « Hexagone » de Renaud.De la fragilité de l'être humainTêtes raides créent leur propre label Jamais J'dégueule, qui célèbre avec un humour bien à eux la concrétisation de leur indépendance artistique. Après avoir participé à une compilation du label tôt Ou tard, le groupe signe chez le distributeur Warner. Puis, l'album Fragile, co-réalisé par Denis Barthe, batteur de Noir Désir, sort en novembre 2005. Faisant la part belle aux guitares rugissantes, comme le laisse présager la pochette en rouge et noir, il sonne dès les premières mesures comme un véritable brûlot ska et rock, prouvant une nouvelle fois que le groupe refuse de tourner en rond. Cette fois, c'est la poésie de Boris Vian et celle de Joyce Mansour qui sont mises en musique sur « Je voudrais pas crever » et « Chanson pour pieds » tiré de l'ouvrage Rapaces.
En 2006, sort une seconde compilation Aïe et en 2007, leur dixième album studio Banco, dont le plus beau morceau d'audace est sans aucun doute la mise en musique d'un texte en prose du poète suédois Stig Dagerman Notre besoin de consolation est impossible à rassasier datant de 1952. Pendant 19 minutes, le leader des Têtes Raides livre une lecture intégrale de cette quête haletante vers la liberté, vers une raison de vivre. But que l'écrivain n'a pas atteint puisqu'il s'est suicidé en 1954.
Avec cette pluridisciplinarité, ce militantisme mené tambour battant depuis deux décennies et le sens du partage (ils sont les créateurs du label indépendant Mon Slip qui produit aujourd'hui une dizaine d'artistes) voici un groupe de chanson française qui, pour peu que l'on veuille entrer dans son univers, fait respirer un vent de liberté et d'irrévérence.
Quatre ans après Banco, la tête de proue de la chanson rock alternative est toujours vaillante avec le fort réussi L'An Demain (janvier 2011), accompagné du simple « Emma », chanté avec Jeanne Moreau. Têtes Raides investit pour six soirs le Théâtre des Bouffes du Nord à Paris en décembre 2012. C'est devant des salles complètes qu'il rôde son nouveau spectacle où il met en musique des poètes. Rimbaud, Lautréamont, Antonin Artaud ou Jean Genet se retrouvent ainsi à l'affiche du CD, DVD et digibook Corps de Mots qui sort en avril 2013. En février 2014, le groupe souffle ses trente bougies avec un album très rock baptisé Les Terriens.