Celui qui allait devenir l’un des rockers les plus conceptuels de la scène française est né à Levallois le 19 décembre 1945. Sa jeunesse rebelle et fortement marquée par le sceau de la contre-culture le mène sur les sentiers de la création expérimentale : peinture, écriture, musique, le jeune Capdevielle est un touche-à-tout doué qui, s’il ne se décide pas encore pour le choix d’un art en particulier, accumule les expériences. Inscrit en médecine et en économie, il laisse très vite tomber les études universitaires pour leur préférer la vie active, toujours sous les augures de l’éclectisme total : pubard, photographe, journaliste (à Salut les Copains, puis Actuel), Jean-Patrick s’immerge dans l’underground de son temps et parcourt les hauts lieux de la culture alternative, de New York à Ibiza en passant par Londres.
Guitariste d’un bon niveau, écrivain doué, Capdevielle envisage de mettre ses textes en musique à la fin des années 1970. Grâce au producteur Gerry Gill, son projet peut prendre forme et son premier album, résolument rock, Les Enfants des Ténèbres et les Anges de la Rue voit le jour en 1979. Si le succès est au rendez-vous, il tient autant à l’énergie musicale qui anime les morceaux de l’album qu’aux textes obscurs autant qu’évocateurs qui rappellent le processus d’écriture automatique d’un surréaliste post-punk. « Quand t’es dans le désert », le titre phare, s’inscrit en effet dans la continuité des poètes surréalistes, situationnistes, voire gauchistes et grimpe très rapidement au sommet des charts. Le mouvement rock est alors en pleine ébullition en France, porté par des groupes aussi différents que Téléphone, Les Rita Mitsouko ou Bérurier Noir et le style de Capdevielle se trouve en parfaite adéquation avec la quête de renouveau artistique et conceptuelle qui agite alors la scène alternative.
Hermétisme rock’n’rollChanteur engagé au nihilisme rageur, Capdevielle à beaucoup de choses à dire, même si pas grand monde ne comprend vraiment où il veut en venir tant son sens de la métaphore n’appartient qu’à lui tout en rappelant celui de quelques-uns de ses contemporains comme Hubert-Félix Thiéfaine ou Castelhémis. L'album 2, en 1980 ne s’avère pas plus clair à l’écoute, même s’il prouve la parfaite maîtrise technique de son auteur qui mêle guitares électriques, pianos, orgues et glockenspiels dans ses partitions. Est-ce encore du rock ? Du folk ? Du punk ? De la variété ? Du lard ou du cochon ? Impossible de définir le style particulier de Capdevielle, mais le public, lui, se laisse convaincre par ses prestations et ses morceaux. Le Long de la Jetée, en 1981, brouille encore un peu plus les cartes car l’artiste a cette fois recours aux cuivres pour agrémenter ses compositions, famille d’instrument à laquelle il n’avait jusqu’à présent jamais fait appel, préférant les cordes frappées ou pincées. Assez médiatisé à l’époque (il est l’un des premiers rockers à tourner dans des clips), Jean-Patrick Capdevielle perd le soutien d’une partie de la presse rock et du public de la scène alternative qui n’apprécie pas qu’un représentant de ce courant aille se « vendre » ainsi à la télévision. L’Ennemi Public (1982), enregistré à New York et non à Londres comme les trois précédents albums, ne convainc pas vraiment en dépit de morceaux artistiquement intéressants comme « L’homme de paille » ou « Vill’taneuse » et le bruit commence à tourner que, loin d’être une expression créative originale, l’écriture de Capdevielle masque la profonde indigence du discours du chanteur qui dissimulerait un discours banal sous des gigatonnes d’hermétisme de comptoir. Renaud s’en fera d’ailleurs l’écho dans « Ma chanson leur a pas plu » dont l’un des couplets raille le genre particulier et hermétique de Jean-Patrick Capdevielle.
Quand tu traverses le désert...En dépit de sa carrière musicale, Capdevielle n’en a jamais pour autant négligé son attrait pour l’écriture en général. Scénariste occasionnel, il propose pas moins d’une douzaine de scénarios originaux (particulièrement des polars) aux chaînes de télévision qui se montrent circonspectes devant la production de l’artiste, pas inintéressante en soi, mais difficilement adaptable tant le style de l’auteur ressemble à un patchwork de Fajardie, Manchette et Arrabal version rock’n’roll. Si ses écrits ne sont globalement pas très bien reçus, son visage en lame de couteau, facilement sinistre pour peu qu’il soit filmé sous le bon angle (et qui, par certains aspects, rappelle celui de Jeffrey Combs, l’acteur de Re-Animator) est exploité dans le cadre d’un téléfilm puis d’une émission de variété, Totem, qu’il présente, déguisé en aventurier. Il ne tirera pas que de bons souvenirs de cette dernière expérience.
Mauvaises Fréquentations (en 1984) et Planète X (l’année suivante) passent inaperçus et Capdevielle s’éloigne de Paris quelques années, choisissant de faire retraite à Ibiza. C’est porteur de plusieurs projets simultanés qu’il revient en 1988. S’il prépare un album en son nom propre (Vue Sur Cour, qui sort, dans l’indifférence générale, en 1990), il se lance surtout dans la production, qu’elle soit musicale (Traces de Linda Williams) ou cinématographique (il crée une maison de production avec – entre autres – Paco Rabanne, et étudie la technique du cinéma deux ans en Californie). Son expérience dans la réalisation ne va cependant pas au-delà de quelques clips, car Capdevielle s’aperçoit très vite qu’il déteste le milieu de la production. Son retour dans la chanson se fait grâce aux albums Vertigo (porté, à l’époque, par le titre « Black Bone »), en 1992 et Politiquement Correct en 1995. Si les deux albums sont très bons, le public l’est franchement moins et ces deux tentatives de come-back sont un échec relatif : les fans sont toujours là, mais le reste ne suit pas.
Capdevielle choisit de changer alors radicalement de cap et se tourne vers un domaine où personne ne l’attendait : l’opéra. Carmine Meo (1997), support de la voix d’Emma Shapplin est sa première intrusion dans cet univers musical qu’il n’avait jusqu’à présent jamais exploré. Le disque est un succès à travers le monde et très peu, en France, imagine que l’ex-interprète de Quand t’es dans le désert » est derrière cette réussite lyrique. Une reconversion réussie qui se poursuit en 2001 avec Atylantos, composé avec la collaboration de Vic Emerson. Mozart post-rock, Capdevielle est cependant lassé de devoir encore et toujours se justifier de son passé de rocker, hérétique dans le monde de l’opéra, et raccroche les gants. Persistant dans ses activités de producteur durant les premières années de la décennie 2000, il songe à nouveau à un éventuel come-back qu’il tente en 2007 avec Hérétique, album qu’il ne vend d'abord que par le biais de son site internet.
Pieuvre musicale aux multiples pseudopodes créatifs, Jean-Patrick Capdevielle fait partie de ces artistes trop vite enterrés, mais qui souffrent encore de leur succès passé. Electron libre dans le domaine du rock, l’homme évolue dans un domaine artistique aussi éclectique qu’ésotérique, tenant un cap qu’il semble seul à connaître, mais entraînant avec lui les fans de la première heure qui ne l’ont pas abandonné. Bien que le goût de la solitude ne soit pas très populaire, sa dune reste une place-forte que les marchands de certitudes n’ont encore pas fait vaciller.