819517 fans
À l'instar d'un certain nombre de formations de heavy metal, c'est dans le creuset du rock scandinave, vivier numéro un du genre sur le Vieux Continent, qu'Europe voit le jour autour du bassiste et chanteur Joakim Larsson (ancien de Roxanne), du guitariste John Norum (ex-W.C). Accompagnés du batteur Tony Niemstö et du bassiste Peter Olsson, ces ados à cheveux longs (ils n'ont guère plus de quinze ou seize ans en 1978) forment un premier groupe baptisé du doux nom de Force.
À l'époque, les références musicales de Force se nomment Black Sabbath, Van Halen, Led Zeppelin ou Ozzy Osbourne et c'est dans un registre très proche du heavy metal lourd et énergique que ces garçons évoluent en premier lieu, parcourant les scènes étudiantes et les concerts dans le circuit alternatif des bars et festivals underground. Après un petit succès lors d'un festival auquel le groupe participe en 1979 à la demande de la petite amie de Joakim Larsson, Force enregistre une première démo de six titres, intitulée 7 Doors Hotel, qui passe de main en main dans les maisons de disques suédoises, mais ne dépasse pas le stade de l'auto-production.
1981 voit le départ de John Levén, qui rejoint le groupe d'Yngwie Malmsteen, Rising Force, et son remplacement par Marcel Jacob. Mais le fils prodige revient bien vite au bercail, ne s'entendant pas avec le guitar hero. En dépit des conseils de leur manager qui leur conseille de chanter en suédois pour toucher le public local (ce dernier ne croyant pas en une carrière internationale pour un groupe scandinave), Force enregistre une seconde démo (en anglais) et entame à nouveau la tournée des maisons de disques pour essayer de percer.
L'anglicisation à outrance étant alors à la mode, Joakim Larsson devient Joey Tempest et Tony Niemstö, Tony Reno. Toujours sous l'influence d'Anita Katila, la petite amie de Larsson-Tempest, véritable duègne du groupe, Force change son nom pour Europe (plus consensuel) et accepte de participer au concours Rock-SM, l'un des principaux tremplins médiatiques du rock suédois... et remporte le trophée du meilleur groupe de l'année 1982.
Devant le potentiel d'Europe, CBS se presse de leur signer un premier album. Insistant encore et toujours pour chanter en anglais malgré les suppliques de leur manager, Europe ne dispose que d'un petit week-end royalement accordé par CBS pour enregistrer son premier album, tout simplement appelé Europe, sortant en 1983, se classant très vite aux sommets des charts. Ayant quelque peu adouci leurs compositions, les membres du groupe ont ajouté les claviers à leur panoplie sonore et les titres « Seven Doors Hotel » ainsi que « In the Future to Come » assurent leur promotion internationale. Concerts en Europe, au Japon et aux Etats-Unis... Les petits Suédois commencent à se faire connaître du public, même si certaines critiques leur reprochent de ne pas assez se démarquer des « anciens » que sont Van Halen ou Led Zeppelin avec lesquels ils entretiennent une filiation plus qu'assumée.
Le second album, Wings of Tomorrow, enregistré l'année suivante dans la lignée du premier voir quelques changements dans le groupe. Tout d'abord le remplacement de Tony Reno, jugé trop dilettante, par Ian Haugland (Häkan Jan Haugland pour l'état civil) et l'engagement de Gunnar « Mic » Michaeli aux claviers, remplaçant un Joey Tempest qui se consacre désormais totalement au chant.
Avec de bons résultats, Wings of Tomorrow permet à Europe de se maintenir sur la lancée de son album éponyme, bien que les consignes d'« adoucissement » suggérées par CBS commencent à devenir de plus en plus perceptibles dans les compos du groupe. Malgré quelques tentations hard FM, Europe reste cependant un groupe de heavy metal, certes, mais familial, aux paroles calibrées pour séduire un large public et restant globalement dans le domaine de l'heroic-fantasy.
Cependant, devant des ventes de plus en plus en plus importantes, les membres du groupe commencent à protester face à la pingrerie de CBS, qui ne leur accorde que la portion congrue de leurs royalties. Menaces, recours aux avocats et compromis sans fin bercent l'année 1985 avant que finalement, Europe, menaçant de passer à la concurrence, n'obtienne gain de cause. Une fois ces détails financiers réglés, Europe peut s'atteler à la composition de son troisième album... Et quel album !
The Final Countdown constitue sans nul doute le Zénith de la discographie d'Europe, ainsi qu'une étape marquante dans l'histoire du hard-rock européen. Sollicité partout dans le monde, Europe déchaîne les foules au son de son « Compte à rebours final » qui devient l'un des morceaux les plus célèbres de tous les temps, au point de devenir l'hymne de plusieurs institutions officielles et d'être samplée dans le monde entier, y compris dans certains pays comme le Pakistan ou la Turquie, pas vraiment connus pour leur amour du hard rock et des cheveux longs.
Cultivant une image de « groupe rock responsable » qui s'exprime contre la faim dans le monde ou pour diverses causes humanitaires, Europe se coupe cependant d'une partie du public traditionnel heavy metal qui ne se reconnaît plus dans ces chevelus politiquement corrects. John Norum, lui-même, qui désire revenir aux fondamentaux de l'époque de Force, préfère quitter la formation, remplacé par Kee Marcello. Toutefois, il semble que derrière le désir de retour aux sources hard rock pur et dur de Norum se dissimule une réelle jalousie de ne pas connaître la même médiatisation et reconnaissance que Tempest, alors qu'il est lui aussi l'un des piliers du groupe.
Numéro un sur le Vieux Continent et dans un certain nombre de pays du sud-est, Europe, dès 1986 s'attelle à la tâche herculéenne qui attend tout groupe international cherchant à percer : la conquête du public américain. Certes, en 1986, Europe n'est pas inconnu des auditeurs du Nouveau Monde et le single « The Final Countdown » s'est classé très honorablement aux Etats-Unis, mais le risque qu'Europe reste limité à ce seul titre est grand.
« Carrie » est le second single sur lequel compte CBS compte pour imposer ses poulains aux Etats-Unis. Le résultat est positif, mais le groupe s'enfonce de manière quasi-irréversible dans le carcan d'un hard FM sirupeux. Or, dans le milieu, entre Toto, Journey, Bon Jovi, Meat Loaf ou Scorpions, Europe est loin d'être leader. Le fait, par la suite, que le groupe aille se domicilier fiscalement aux Bahamas pour éviter de payer trop d'impôts ne contribue pas à maintenir l'image « rock'n'roll » du groupe.
Bien coaché par le nouveau manager qu'accorde CBS au groupe, Europe rentre en studio pour les besoins d'Out of This World, en 1988. Toujours décidé à conquérir le public américain, Europe assure tout au long de l'année 1989 la première partie de Def Leppard avant de venir à la rencontre du public européen... et indien lors d'un concert d'anthologie à Bombay devant un public nombreux.
Le succès international n'empêche toutefois pas les musiciens de se remettre en question, car les anciennes récriminations de John Norum contre Joey Tempest et la direction artistique d'Europe restent partagés par quelques-uns des membres. Certes, le groupe enchaîne succès sur succès avec ses albums depuis The Final Countdown, mais pour certains musiciens, le coeur n'y est plus et la lassitude devant les titres faciles et le glam FM est patente.
Joey Tempest et CBS comprennent le message et, plutôt que de voir à nouveau des membres partir, acceptent que le nouvel album studio, prévu pour 1991, retrouve les sonorités heavy des débuts. Prisoners in Paradise est l'album par lequel Europe, groupe « vendu » selon certains critiques de la presse spécialisée, souhaite renouer avec son public des débuts. Hélas, les prévisions de Joey Tempest d'avèrent être exactes : l'album, malgré sa tournée à guichets fermés (le chanteur reprenant la guitare pour l'occasion) et son million de copies vendues, est perçu comme un échec par la maison de disques qui s'était habitué à des scores autrement plus pharaoniques.
Imposant à Europe de réenregistrer la plupart des titres pour qu'ils soient diffusables en radio, CBS se braque avec les membres du groupe qui acceptent de mauvaise grâce de se soumettre à leur tout-puissant Pygmalion mais estiment, devant le résultat final, ne plus avoir grand chose à apporter au monde du rock. Considérant - pas forcément à tort - que le groupe est contraint de rester dans le domaine du hard FM ou de disparaître, les musiciens choisissent de faire un long break pour se ressourcer, sans l'assurance par ailleurs, de rejouer un jour ensemble.
Chacun des membres d'Europe se consacre désormais à une carrière personnelle, les seuls albums voyant le jour au cours des années 1990 sont des live ou des compilations des plus grands succès du groupe suédois. Ce n'est qu'en 2003 que Joey Tempest suggère à ses anciens compagnons qu'une reformation du mythique groupe des années 1980 est possible, comme d'autres formations l'ont fait avec succès auparavant.
Si John Norum accepte avec joie de revenir à la guitare, Kee Marcello, lui, décline l'invitation, occupé qu'il est avec ses propres obligations professionnelles (entre-temps, il s'est recyclé dans la production). Le grand retour d'Europe est marqué du sceau du vintage, tournant avec d'autres formations oldies but goodies comme Judas Priest, Testament, Saxon ou Scorpions. Si les cheveux ont un peu blanchi, l'énergie est toujours là et les grands anciens ne se privent pas pour donner tout ce qu'ils ont sur scène pour les beaux yeux d'un public qui en redemande.
Pas question, cependant, de tout miser sur la mode rétro. Europe, désormais reconstitué, retourne en studio - sous les augures cette fois des Britanniques de Sanctuary Records (label de Black Sabbath, Elton John ou Venom) - pour les besoins de Start From the Dark, véritable nouveauté dans la carrière du groupe. Car s'ils ont marqué les années 1980, les Suédois n'ont pas négligé de jeter un oeil sur ce qui se faisait pendant la décennie suivante, du côté de chez Sepultura, Velvet Revolver ou The Darkness. Plus sombre, plus violent, Start from the Dark réconcilie Europe avec le public metalleux, surpris par la profondeur de ce nouvel opus qu'on n'attendait pas. La tournée qui suit est un triomphe.
Secret Society, en 2006, confirme que son prédécesseur n'était pas qu'un one-shot inspiré et qu'Europe a réellement su se renouveler et produire un heavy metal authentiquement sombre et énergique, sans pour autant se renier. Les ventes, cependant, restent loin des sommets des années 80, mais Europe peut néanmoins se lancer dans une vaste tournée, qui s'achève d'ailleurs sur les scènes du pays natal. Almost Unplugged (2008), Last Look at Eden (2009), et Bag of Bones en 2012 montrent un Europe seconde manière plutôt bien inspiré sur la durée.
Europe s'offre une cure de rajeunissement en 2015 en travaillant avec Dave Cobb, renommé producteur de la nouvelle génération connu en particulier pour son travail avec Rival Sons. War of Kings est le résultat de cette collaboration.