Après le succès inattendu de leur premier album, « Elephant Love » sorti sur le tard en 2015, le tout jeune duo Ropoporose avait un peu la pression. Le cap du deuxième, le disque de la maturité, tout ça. Fuck it, oui. Romain (batterie et tout un tas d’autres trucs) et Pauline (chant, guitares et tout un tas d’autres trucs aussi) -les deux frangin-frangine qui se planquent derrière ce nom-galipette- continuent de faire comme si le monde entier ignorait leur existence. Ce qui n’est pas tout à fait faux non plus. Mais c’est sans doute ce qui leur réussit le mieux à en croire le contenu de ce « Kernel / Foreign Moons ».
Cet album a été composé en mode aléatoire sur trois ans jusqu’à leur entrée en studio avec Thomas Poli (guitariste de Dominique A ou Lætitia Shériff entre autres, qui a joué à fond son rôle de réalisateur sur ce disque). On pourra peut-être passer à côté du concept que cache le titre « Kernel, Foreign Moons » : le duo distingue là titres composés dans le même esprit et la même période d’une part (None, Horses, Spouknit…), morceaux un peu plus éloignés de par leur style ou leur méthode d’écriture d’autre part (Skeletons, Barking In The Park, Holy Birds…). C’est aussi le reflet de thématiques souvent centrées sur un bestiaire bien terrestre (Horses, Fishes Are Love, Barking In The Park), mais qui n’empêchent pas parfois de lever le nez vers le ciel (Spouknit, Moon). De la à parler de concept-album… Et après tout qu’importe le joli flacon dans lequel le duo a cherché à nous refourguer son cocktail : l’essentiel est plutôt dans la belle ivresse qu’il nous procure !
Chacune de ces douze bizarreries impose en effet ses points forts sans effort, quand elles ne les échangent pas simplement en cours de morceau : la voix douce-amère de Pauline (« Holy Birds », « Spouknit »), les guitares jeunes et soniques (« Horses », « Moon », « Spouknit »), les rythmiques tricotées façon Tortoise (« None », « Electric ») ou encore les cavalcades oniriques du synthé modulaire (« Holy Birds », « Faceless Man »). On ne s’est ainsi toujours pas remis de ce « Guizmo » complètement dingue, comme échappé de La Colonie de Vacances, ou du sublime « Barking In The Park », BO de western d’un Grand Ouest différent, jouée au homeswinger, instrument que le groupe a conçu avec Yuri Landman, le luthier préféré de Lee Ranaldo ou Thurston Moore…
Leur mélange jubilatoire de kraut, d’indie-pop, de noise, de math-rock, de lo-fi et de bubblegum réussit toujours la prouesse de faire siffloter des morceaux pourtant parfois alambiqués, remplis de cassures et de contrepieds, comme si c’étaient des bluettes de brit-pop. Tout paraît simple, évident, naturel. Alors que c’est souvent inventif, ambitieux, maîtrisé.
Si dans un continuum espace-temps alternatif, de jeunes futurs Blonde Redhead, Stereolab, The Pixies et The Moldy Peaches avaient décidé de jammer ensemble après l’école à la fin des 80s, en ayant une vision très nette de la musique du futur grâce aux cookies magiques du chevelu du trottoir d’en face, on n’est même pas sûr que le résultat eût été aussi classieux que ce que vient de pondre le duo. On voit désormais la vie en Ropoporose.
Pauline BENARD : Chant, guitare et guitare baryton, claviers
Romain BENARD : Batterie, choeurs