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Au CrawdaddyLe blondinet Keith Relf et Paul Samwell-Smith, tous deux ex-étudiants des Beaux-Arts, après une expérience au sein du Metropolis Blues Quartet en 1962, respectivement harmoniciste et chanteur, et bassiste, forment à Richmond dans la grande banlieue londonienne, les Yardbirds, avec les guitaristes Chris Dreja (rythmique) et Anthony « Top » Topham (soliste) et le batteur Jim McCarty, trouvant leur patronyme dans le terme d’argot américain désignant un militaire tire au flanc, puisé dans la bande dessinée « Barney Google and Snuffy Smith », célèbre pendant la deuxième guerre mondiale, et non pas d’après le titre de la composition du musicien de jazz Charlie Parker comme le veut la légende. Les musiciens mettent au point un répertoire de rhythm & blues et de blues puisé dans le Chicago Blues, découvert grâce aux marins noirs américains séjournant dans les ports britanniques après la guerre, et sont engagés par l’un des pères du blues anglais, Cyril Davies comme son orchestre. En septembre 1963 la chance sourit à ce groupe moyen mais enthousiaste lorsqu’il remplace les Rolling Stones comme groupe résident au club Crawdaddy à Richmond. « Top » est obligé par ses parents à poursuivre ses études, et est aussitôt remplacé par le virtuose Eric Clapton, alors connu que d’un club restreint d’initiés.
« Slowhand »Ses soli acérés, sa passion pour le Blues et ses connaissances du genre deviennent vite l’attraction principale des Yardbirds, avec la bonne volonté de l’harmoniciste avec lequel il partage les soli. Le patron du Crawdaddy et « découvreur » des Rolling Stones, Giorgio Gomelsky, leur obtient un contrat d’enregistrement en février 1964 avec le label Columbia, sous-marque de EMI en Angleterre (aucun lien avec la marque américaine). Le groupe se produit aussi dans les clubs en vogue comme le Railway Hotel ou le Studio 51, mais c’est au prestigieux Marquee dans Soho qu’il obtient la charge enviée d’animer les soirées du vendredi. Enregistrés en mars, ils sont l’objet du premier album, Five Live Yardbirds produit par Gomelsky qui ne sortira qu’en décembre. Entre-temps les Yardbirds publient en mai un premier 45 tours enregistré en studio, « A Certain Girl » une composition d’Allen Toussaint couplée avec « I Wish You Would » qui passe presque inaperçu, même après un rapide deuxième pressage avec les faces inversées. Le bluesman Sonny Boy Williamson (II) les emmène en tournées anglaise et allemande, et un deuxième 45 tours paraît en octobre, « Good Morning Little Schoolgirl » / « I Ain’t Got You », deux mois avant la sortie de l’album « live » tant attendu par les fans (les Yardbirds est d’ailleurs le premier groupe de l’histoire à publier un enregistrement « live » pour premier album) ; Eric Clapton y est surnommé « Slowhand », surnom donné par les spectateurs du Marquee car, utilisant des cordes très fines dont l’une cassait tous les deux morceaux, il prenait tout son temps pour la remplacer, pendant lequel, bon prince, le public patient frappait lentement dans ses mains. Malgré le boycott de la BBC, « Good Morning Little Schoolgirl » fait une incursion discrète dans le hit parade, mais le groupe se rend compte qu’il n’obtiendra de véritable hit s’il se cantonne dans ses reprises, alors que ses concurrents directs (Animals ou Moody Blues) sont déjà passés à la banque.
For Your LoveAprès une demande aux Beatles de leur écrire une chanson restée sans réponse, c’est lors du Christmas Show de 1963 des Fab Four qu’une rencontre avec un éditeur s’avère déterminante car celui-ci leur propose une chanson pop écrite par un auteur compositeur débutant, Graham Gouldman : « For Your Love ». Enregistrée contre l’avis du puriste Clapton, elle grimpe n°3 au hit parade au Printemps 1965, mais le guitariste quitte ses compagnons en mars pour rejoindre les Bluesbreakers de John Mayall. Effondré par cette défection au moment où il décroche enfin la timbale, le groupe approche le guitariste de séances Jimmy Page recommandé par Eric Clapton, mais il est indisponible, mais qui recommande à son tour son ami Jeff Beck, ex-Tridents, rocker moins féru de blues que son prédécesseur.
Jeff BeckIl contribue aussitôt avec Keith Relf à « Steeled Blues », face B du 45 tours « Heart Full Of Soul » en juin 1965, une autre composition de Graham Gouldman épatante, n°2 en Grande-Bretagne et 9ème aux Etats-Unis, où le groupe est très populaire et où il exerce une influence profonde sur une génération de musiciens et emballe les critiques spécialisés. Jeff Beck insuffle au groupe une énergie nouvelle et détonante, devenant l’un des tenants du rock psychédélique. « Evil Hearted You » en octobre 1965 en étant l’un des meilleurs exemples. Les Yardbirds surprennent à chaque nouvelle création, notamment avec le chant grégorien lancinant de « Still I’m Sad », le tour de force de « Beck’s Bolero » et surtout avec « Shapes Of Things » , n°3 en mars 1966, puis avec « Over Under Sideways Down » en avril où Beck assure lui-même la ligne de basse. Mais trois mois plus tard le groupe commence à se désagréger : la cheville ouvrière et co-producteur jusqu’ici Paul Samwell-Smith tire sa révérence, et est remplacé à la basse par Jimmy Page au moment où paraît son premier album studio anglais, The Yardbirds, intitulé presque à tort dans les discographies Roger The Engineer. La nouvelle mouture des Yardbirds propose ensuite en octobre deux titres fulgurants qui composent l’un des plus célèbres 45 tours du rock expérimental des années 60 tant faces A & B sont aussi essentielles : les futuristes « Happening Ten Years Time Ago » et « Psycho Daisies ». Enregistré à la même période, la re-lecture du standard « Train Kept A-Rollin’ » de Tiny Bradshaw, « Stroll On », que le groupe interprète dans une scène de club, illustre le film de Michelangelo Antonioni Blow-Up. Mais la nouvelle structure des Yardbirds est brève (de juin à octobre 1966 pour le tandem Beck/page) : dépité par un succès commercial fuyant malgré la renommée du groupe, Jeff Beck s’en va former le sien, et Jimmy Page retourne à sa guitare solo tandis que Chris Dreja hérite de sa basse.
The New YardbirdsLe groupe survit encore quelques mois (« Little Games » au printemps 1967), après un dernier 45 tours, « Think About It » (repris en 1979 par Aerosmith le principal successeur des Yardbirds), un dernier enregistrement en mars 1968, « Goodnight Sweet Josephine » (avec Nicky Hopkins au piano et John Paul Jones à la basse), il se saborde, totalement épuisé. Les téléspectateurs français auront juste eu le temps d’avoir la primeur le 9 mars 1968 d’entendre une première mouture de « Dazed And Confused » futur standard de Led Zeppelin, lors de la légendaire émission de Pierre Lattès « Bouton Rouge ». Jimmy Page re-baptise l’expérience New Yardbirds avec Robert Plant, John Paul Jones et John Bonham en septembre/octobre 1968, tandis que Keith Relf et Jim McCarty fondent le groupe Renaissance et que Chris Dreja délaisse la guitare pour la photographie. Jimmy Page écrira ensuite un nouveau chapitre de l’histoire du heavy rock en renommant les New Yardbirds Led Zeppelin, Paul Samwell-Smith connaîtra son heure de gloire en tant que producteur (Jethro Tull, Cat Stevens, entre autres), et Keith Relf (qui avait tenté une aventure solo parallèle en 1966, (« Knowing » / « Mr. Zero »), fondé en 1975 le groupe prometteur Armageddon, mourra électrocuté par sa guitare chez lui le 14 mai 1976. En juin 1983, Samwell-Smith, McCarty et Dreja et se retrouvent pour l’éphémère aventure du groupe Box Of Frogs (avec un coup de main de Jeff Beck), et ces deux derniers persistent toujours depuis à entretenir la mémoire scénique de ce groupe légendaire à l’occasion de concerts nostalgiques. Trente cinq ans après la fin de l’aventure, ces deux survivants publient le 22 avril 2003 Birdland, avec l’ancien guitariste de Dr. Feelgood, Gypie Mayo, et des contributions de Jeff Beck, Slash, Steve Vai, Brian May, Jeff Baxter ou Steve Lukather sur « Happening Ten Years Time Ago ».